• "La Revanche du parti noir", la conférence de Pierre Roy

    Publié le 26 septembre 2011 par LIBRE PENSEE 04

    revanche-du-parti-noir.jpg Préface de Henri Pena-Ruiz

    Editions Abeille Castor

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      à gauche, Pierre Roy, membre de la CAN de la FNLP

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      Les Mées-Mairie 

    Conférence du 24 09 11

     « La revanche du parti noir »

     l-la lente mise à mort de l'école publique-

    par Pierre Roy.

      bref compte-rendu

     

    Pierre Roy est co-auteur avec Michel Godicheau et Michel Eliard de ce livre, comme il l’expliquait lui-même, « inédit, ni lisse ni consensuel et, pour cette raison,  ignoré par la plupart des médias. (exception faite de La Quinzaine Littéraire* et autres…) » .

     

    Pierre a énoncé clairement le but de cet ouvrage: « Pour restaurer l’Ecole de la République, il faudra une mobilisation puissante, nécessaire mais difficile. ».

    Il s’agit d’armer la résistance à la «  lente mise à mort de l’Ecole publique » ( le sous-titre) entreprise conjointe et complémentaire du patronat (CNPF,  MEDEF) et de l’Eglise romaine.

     

    Pierre a retracé la conquête tumultueuse de l’Ecole laïque, fruit à la fois du combat de classe et de la lutte anticléricale pour arracher le droit à l’instruction égal pour tous les enfants du peuple.

     

    "Rendre la raison populaire" Condorcet

     

    Ce combat ébauché pendant la Révolution avec ses multiples projets d’instruction et d’éducation, verra émerger celui, d’instruction publique, de Condorcet (ses Cinq Mémoires sur l’instruction publique et son Rapport et projet de décret), visant à arracher les citoyens à l’obscurantisme de l’Eglise, à "rendre la raison populaire".

    Après la revendication de la Commune de Paris de 1871 et du mouvement ouvrier, Jules Ferry, Ferdinand Buisson et Paul Bert dès 1880 instaurent l’enseignement public, laïque et obligatoire.

    Pour le CNPF,

     il faut en finir avec les « peaux d’ânes », « le culte du diplôme ».

     

    Si la bourgeoisie industrielle- ses intérêts bien compris d’une main-d’œuvre instruite- voyait plutôt d’un bon œil l’œuvre scolaire de la IIIème république, le patronat dès 1968 (rapport Edgard Faure) s’en prend à cette Ecole publique qui qualifie (code du travail) la jeunesse, car pour le CNPF et  le MEDEF (ensuite), il faut en finir avec les « peaux d’ânes »,  « le culte du diplôme ».

     

    Pierre a évoqué les  idéologues thuriféraires de la mise à mort de l'école publique:

     -les Intellectuels Bourdieu, Baudelot et Establet, ces deux derniers affirmant que « l’école capitaliste » reproduit les idées de la classe dominante, comme si la jeunesse n’y trouvait pas son émancipation, malgré tout, même « en » société capitaliste ;

    -Antoine Probst dont 'l'hisoire de l'éducation en France" fait l'impasse sur la période avant 1800, les projets sous la Révolution, des Condorcet, Rabaud-St Etienne etc.    

    -l’idéologue (« décroissant ») Ivan Illich prônant « une société sans école » pour en finir avec cette prétendue aliénation qu’elle constituerait;

     -ces "gourous pédagogiques", conseillers insatiables de la  mise à mort de l’école publique depuis une quarantaine d’année, tels Philippe Meirieu, 

     

    La résistance de l'Eglise est à l'origine de la radicalité

    du combat pour l'Ecole laïque en France."

     

    Pierre a rappelé la première séparation de l'Eglise et de l'Etat de 1795, le concordat de 1802 qui va perdurer jusque 1905, année de la loi de séparation actuelle.

     

    Il a évoqué le très réactionnaire comte Falloux (1850) et "l'instituteur-bedeau-balayeur-donneur de catéchisme" soumis à la surveillance et aux exigences des clercs, décrit par Flaubert dans "Bouvard et Pécuchet".

     

    La puissante lutte des classes à la  Libération rétablit l'Ecole républicaine, laïque

     

    En 1959, la loi Debré constitue "un véritable coup d'Etat contre la République" par le  financement sur fonds publics de l'enseignement privé confessionnel !

     

    Plus récemment, Pierre a rappelé le "symposium de Louvain" de 1972 qui a inauguré la reprise en main par l'Eglise romaine des programmes scolaires, en premier lieu, ceux d'histoire. 

     

    Ce livre  doit être absolument lu pour qui veut un éclairage sans concession, sans illusion, ne contournant aucun obstacle, dans une situation où les points de repère ont été brouillés et continuent de l'être à chaque nouvelle contre-réforme destructrice.

     

     


    Le débat qui a suivi a permis un premier approfondissement de la question

     

    -Le droit à l'instruction, un droit de l'homme?

    Bien sûr, fondamental même! (Danton: "Après le pain, l'instruction est le premier besoin du peuple" Convention, séance du 13 août)

     

    -Evaluation des "compétences" ou des "connaissances"?

    Les compétences, ce sont les désideratas du patronat, d'une gestion managériale de la société, où la recherche de la rentabilité (commerciale )maximale et immédiate est la priorité. 

    L'évaluation des compétences (livret dès la maternelle) se substitue au contrôle des connaissances par discipline, base des diplômes et qualifications.

     

    -Egalité des chances ou égalité des droits?

    Quel rapport entre la chance d'avoir encore une école dans son village et le droit qui implique d'avoir une école dans chaque village pour tous les élèves (Loi Goblet 1882...)?

    La substitution pernicieuse de chances à droits, passée dans le langage courant, tente en réalité de masquer une inégalité galopante et de plus en plus criante.

     

    -Quid de la grève générale de  "1968" et des revendications des enseignants?

    Les grandes idées de 1968 ont été perverties. Exemple: jamais on a revendiqué la suppression des cours du samedi matin(allègements...).

    Aujourd'hui, "le chanoine de Latran"qui, au nom de la liberté du peuple lybien, rétablit la charia!...

    Privatisation de l'école, dans l'air du temps

    Exemple, quand la municipalité de Puy St Vincent dont on a supprimé l'école, finance elle-même un enseignant pour assurer la scolarité dans le village comme cela devrait-être.

    Vers l'autonomie des établissement dont les chefs recrute(rai)ent sur profil et non plus sur statut fonction public.

    La privatisation tente de passer par les traités de l'UE: l'école privée confessionnelle reconnue comme "concourant au service public" (idem : livre blanc sur les services d'intérêt général)? Un remake du SPULEN de Savary en 1982? ...

    Egalité filles-garçons dans l'instruction:

     Revendication des femmes de la Commune de 1871 notamment avec Louise Michel et  Anna Jaclard, une russe immigrée.

    无神 wushen (=sans dieu)

     

    REDACTION EN COURS,

    A SUIVRE

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      * Voir l'article de Jean-Jacques Marie dans la Quinzaine littéraire:

    http://librepensee04.over-blog.com/article-dans-la-quinzaine-litteraire-la-revanche-du-parti-noir-81722985.html

     


    L'article dans la MARSEILLAISE:

     

    Cliquez sur la photo ou sur le lien:

     

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    http://www.lamarseillaise.fr/alpes/interdire-a-la-jeunesse-l-emancipation-par-le-savoir-24343.html


    Avant de se quitter,

    une petite visite au monument des Mées à la mémoire des bas-alpins de 1851 qui se sont levés pour défendre la République contre le coup d'Etat de Napoléon III. 

     

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    EN ANNEXE AU DEBAT:

    DANTON

    "Après le pain, l'éducation est le premier besoin du peuple"

    Discours à la Convention, séance du 13 août

    (extraits)

     

    "Citoyens, après la gloire de donner la liberté à la France, après celle de vaincre ses ennemis, il n’en est pas de plus grande que de préparer aux générations futures une éducation digne de la liberté.

     

    Tel fut le but que Peletier se proposa. Il partit de ce principe que tout ce qui est bon à la société doit être adopté par ceux qui ont pris part au contrat social . Or, s’il est bon d’éclairer les hommes, notre collègue, assassiné par la tyrannie, mérita bien de l’humanité.

    Mais que doit faire le législateur ? Il doit concilier ce qui convient aux principes et ce qui convient aux circonstances.

    On a dit contre le plan que l’amour paternel s’oppose à son exécution. Sans doute il faut respecter la nature, même dans ses écarts ; mais si nous ne décrétons pas l’éducation impérative, nous ne devons pas priver les enfants du pauvre de l’éducation.

    La plus grande objection est celle de la finance ; mais j’ai déjà dit qu’il n’y a point de dépense réelle là où est le bon emploi pour l’intérêt public, et j’ajoute ce principe que l’enfant du peuple sera élevé aux dépens du superflu des hommes à fortunes scandaleuses.

    C’est à vous, républicains célèbres, que j’en appelle ! Mettez ici tout le feu de votre imagination ; mettez-y toute l’énergie de votre caractère : c’est le peuple qu’il faut doter de l’éducation nationale. Quand vous semez dans le vaste champ de la République, vous ne devez pas compter le prix de cette semence. Après le pain, l’éducation est le premier besoin du peuple.

    Je demande qu’on pose ici la question : sera-t-il formé, aux dépens de la Nation, des établissements où chaque citoyen aura la faculté d’envoyer ses enfants pour recevoir l’instruction publique ?(...)

     

    Il est nécessaire que chaque homme puisse développer les moyens moraux qu’il a reçus de la nature. Vous devez avoir pour cela des maisons communes, facultatives, et ne point vous arrêter à toutes les considérations secondaires. Le riche paiera, et il ne perdra rien s’il veut profiter de l’instruction pour son fils.

    Je demande que, sauf les modifications nécessaires, vous décrétiez qu’il y aura des établissements nationaux où les enfants seront instruits, nourris et logés gratuitement, et des classes où les citoyens qui voudront garder leurs enfants chez eux pourront les envoyer s’instruire." (...)

    [remarque: Danton utilise indifféremment les deux termes:"éducation" et "instruction"]

     

    Source:

    1789 Recueil de textes et documents du XVIIIe siècle à nos jours 

    CNDP-Ministère de l'Education Nationale de la Jeunesse et des Sports-

     

     


     

    "L'instruction éduque, l'éducation n'instruit pas!"

    INSTRUCTION OU EDUCATION ? 

    <<L’instruction publique demande des lycées, des collèges, des académies, des livres, des instruments, des calculs, des méthodes; elle s’enferme dans des murs.

     

    L’éducation nationale demande des cirques, des gymnases, des armes, des jeux publics, des fêtes nationales, le concours fraternel de tous les âges et de tous les sexes, et le spectacle imposant et doux de la société humaine rassemblée: elle veut un grand espace, le spectacle des champs et de la nature. (...)>>

     La discussion a eu lieu en 1793...

    PROJET D’EDUCATION NATIONALE
    par le député J.P. RABAUT (1793)

    « Citoyens,
    C'est de l’éducation nationale que je viens vous parler. (...)

     

    Existe-t-il un moyen infaillible de communiquer incessamment, tout à l’heure, à tous les Français à la fois, des impressions uniformes et communes, dont l’effet soit de les rendre, tous ensemble, dignes de la révolution; de la liberté, ce droit de justice qui se convertit souvent en iniquité; de l’égalité, ce lien fraternel qui se change si aisément en tyrannie; et de cette élévation simple et noble, où l’espèce humaine a été portée depuis quatre ans, dans le combat à mort qui a été livré entre toutes les vérités et toutes les erreurs? Ce moyen existe sans doute: il consiste dans ces grandes et communes institutions, si bien connues des anciens, qui faisaient qu’au même jour, au même instant, chez tous les citoyens, dans tous les âges et dans tous les lieux, tous recevaient les mêmes impressions, par les sens, par l’imagination, par la mémoire, par le raisonnement, par tout ce que l’homme a de facultés, et par cet enthousiasme que l’on pourrait appeler la magie de la raison.

     

    Ce secret a bien été connu des prêtres, qui, par leurs catéchismes, par leurs processions,(...), par leurs cérémonies, leurs sermons, leurs hymnes, leurs missions, leurs pèlerinages, leurs statues, leurs tableaux, et par tout ce que la nature et l’art mettaient à leur disposition, conduisaient infailliblement les hommes vers le but que les prêtres se proposaient. Ils s’emparaient de l’homme dès sa naissance; ils s’en saisissaient dans le bas âge, dans l’adolescence, dans l’âge mûr, à l’époque de son mariage, à la naissance de ses enfants, dans ses chagrins, dans ses fautes, dans sa fortune, dans sa misère, dans l‘intérieur de sa conscience, dans tous ses actes civils, dans ses maladies et dans sa mort. C'est ainsi qu’ils étaient parvenus à jeter dans un même moule, à donner une même opinion, à former aux mêmes usages, tant de nations différentes de mœurs, de langage, de lois, de couleur et de structure, malgré l’intervalle des monts et des mers. Législateurs habiles, qui nous parlez au nom du ciel, ne saurions-nous pas faire, pour la vérité et la liberté, ce que vous avez fait si souvent pour l’erreur et pour l’esclavage?
    Il suit de cette observation, que je crois grande, car elle embrasse tout l’homme, toute la société des Français, toute l’espèce humaine; il suit, dis-je, de cette observation, qu’il faut distinguer l’instruction publique de l’éducation nationale. L’instruction publique éclaire et exerce l’esprit, l’éducation nationale doit former le cœur: la première doit donner des lumières, et la seconde des vertus; la première fera le lustre de la société, la seconde en fera la consistance et la force.

    L’instruction publique demande des lycées, des collèges, des académies, des livres, des instruments, des calculs, des méthodes; elle s’enferme dans des murs.

     

    L’éducation nationale demande des cirques, des gymnases, des armes, des jeux publics, des fêtes nationales, le concours fraternel de tous les âges et de tous les sexes, et le spectacle imposant et doux de la société humaine rassemblée: elle veut un grand espace, le spectacle des champs et de la nature. (...)

     

    Toute sa doctrine consiste donc de s’emparer de l’homme dès le berceau, et même avant sa naissance; car l’enfant qui n’est pas né appartient déjà à la patrie.
    Elle s’empare de tout l’homme sans le quitter jamais, en sorte que l’éducation nationale n’est pas une institution pour l’enfance, mais pour la vie toute entière.(...)Lorsque les principes constitutionnels et le mode de gouvernement auront été ratifiés par le peuple, ils seront rédigés, en forme de catéchisme; et tout enfant, âgé de quinze ans, sera obligé de le savoir par cœur. Il sera dressé un catéchisme simple et court sur les droits et les devoirs des nations entre elles, que tout garçon de quinze ans sera obligé de savoir par cœur(...) »

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    Egalement chez Victor Hugo:

    Victor HUGO- Education et instruction, deux faits distincts...

    «( …)Quant à moi, je vois clairement deux faits distincts, l’éducation et l’instruction . L’éducation, c’est la famille qui la donne ; l’instruction, c’est l’Etat qui la doit. L’enfant veut être élevé par la famille et instruit par la patrie. Le père donne à l’enfant sa foi ou sa philosophie ; l’Etat donne à l’enfant l’enseignement positif.
    De là , cette évidence que l’éducation peut être religieuse et que l’instruction doit être laïque. le domaine de l’éducation, c’est la conscience ; le domaine de l’instruction, c’est la science. Plus tard, dans l’homme fait, ces deux lumières se complètent l’une par l’autre.(…)
    (Extrait d’une lettre à M. TREBOIS, Président de la Société des écoles laïques)

    Messieurs, toute question a son idéal. Pour moi, l’idéal dans cette question de l’enseignement, le voici : L’instruction gratuite et obligatoire. Obligatoire au premier degré seulement, gratuite à tous les degrés (Murmure à droite). L’instruction primaire obligatoire, c’est le droit de l’enfant, (Murmures) qui, ne vous y trompez pas, est plus sacré que le droit du père et qui se confond avec le droit de l’Etat.(…)
    Partout où il y a un champ, partout où il y a un esprit, qu’il y ait un livre. Pas une commune sans une école, pas une ville sans un collège, pas un chef-lieu sans une faculté.

     


    EGALITE DES DROITS OU EGALITE DES CHANCES?

     

    LA FIN DE L’ÉCOLE   Michel ELIARD  Puf  CHAPITRE 1

    La mystification de “ l'égalité des chances ”

    “ Le droit ne peut jamais être plus élevé

    que l’état économique de la société et que le

    degré de civilisation qui y correspond. ”

    Marx, Critique du programme de Gotha (1875).

     

     

    La notion d’égalité des chances mérite examen. Depuis des décennies, les réformes scolaires ont été présentées comme les moyens de sa réalisation. La force symbolique de cette notion est telle que, à droite comme à gauche, on continue à présenter cet objectif comme étant réalisable alors même que les inégalités sociales s’aggravent de façon spectaculaire. Elément essentiel de l’arsenal idéologique du libéralisme, la perspective de l’égalité des chances a pourtant reculé vers un horizon lointain.

    Dans le domaine de la scolarisation, elle a été au centre des problématiques sociologiques, dans des recherches visant à analy­ser les causes de l’inégalité de réussite, de l’inégalité d’accès à l’enseignement secondaire et supérieur, et elle a pu servir de légi­timation à des réformes dont l’objectif proclamé était, entre autres, de compenser les effets de l’origine sociale sur le déroule­ment des cursus scolaires. L’égalisation de ces chances d’accès ne s’étant pas réalisée, bien au contraire, la critique s’est alors dirigée contre l’École qui, en traitant de manière égale des indivi­dus inégaux, serait responsable de la persistance des inégalités.

    C’est ainsi que la représentation, issue du mouvement des Lumières, de la tradition socialiste et de l’œuvre de la IIIe Répu­blique, représentation de l’École comme institution ayant pour fonction d’instruire et d’émanciper les individus, a été mise en question au moment même où un nombre sans cesse croissant de jeunes accédaient à l’enseignement postobligatoire.

    La question de l’égalité des chances a fait couler beaucoup d’encre. Le large consensus qui s’est établi pendant des décennies autour de l’idée selon laquelle, moyennant des réformes, l’École pourrait égaliser les chances scolaires dans une société inégalitaire a fortement contribué à occulter la remise en cause de l’égalité formelle des droits.

    Le mot chance appartient au registre du hasard, de la probabi­lité. Chance vient du latin cadere (tomber) ; c’est, par exemple, la manière dont tombent les dés. L’égalité des chances évoque l’image d’une course dans laquelle les participants ont théorique­ment des chances égales de l’emporter, mais elle masque l’inégalité réelle des compétiteurs. Pour donner les mêmes chan­ces à chacun il faudrait échelonner les départs selon les capacités de chacun ou tirer le gagnant au sort. Mais appliquer une notion qui relève de la loterie au domaine de la course aux titres scolaires et aux postes professionnels constitue ce qu’il faut bien nommer une mystification. En effet, on proclame qu’on peut agir sur les effets, l’inégalité scolaire, alors qu’il n’est pas question d’agir sur les causes, l’inégalité sociale. L’évocation d’une prétendue possi­bilité d’égalité des chances aboutit à escamoter l’importance de l’égalité formelle, juridique, donc à responsabiliser l’École et à disculper le pouvoir politique. La substitution au “ droit ", qui relève du pouvoir politique, de la chance ”, qui est de l’ordre de l’aléatoire, est, de plus, une imposture puisque les jeux sont faits très en amont, c’est-à-dire en dehors de l’Ecole.

    Il advient même que la mise en évidence de cette mystification aboutit néanmoins à la critique, non seulement de l’École, mais même du rôle que le mouvement des Lumières attribua à l’instruction. Ainsi, Tony Andréani et Marc Féray écrivent “ A l’aube de la société moderne, les philosophes se sont vivement intéressés au problème de l’éducation, tels Rousseau et Diderot. Leur préoccupation d’alors nous paraît bien loin­taine aujourd’hui. Pour eux, l’école devait sortir la société de l’obscurantisme moyen­âgeux, et faire entrer dans l’ère des Lumières une population d’hommes nouveaux, aptes à prendre part avec maturité à la vie politique. L’accès à l’instruction et à la culture devait ainsi permettre de réaliser une certaine égalité entre les individus, et surtout de leur don­ner une indépendance et une liberté que l’homme inculte ne peut atteindre, comme le soulignait par exemple Condorcet, dans son Rapport sur l’instruction publique: en cela, l’instruction publique s’avérait une condition essentielle de la République...

    Si de telles conceptions nous semblent aujourd’hui un tantinet anachroniques, c’est moins parce que la démocratie moderne a acquis dans les principaux pays riches une assise solide, que parce que l’école est souvent soupçonnée de jouer maintenant un rôle différent, quoique dérivé, de celui que lui assignaient ses premiers concep­teurs. De soutien à la République, l’école n’est - elle pas devenue son alibi ? (Discours sur l’égalité parmi les hommes, L’Harmattan, 1993, p. 89-90).

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    *Dans la Quinzaine littéraire: La revanche du parti noir

    Publié le 16 août 2011 par LIBRE PENSEE 04

    Un article de Jean Jacques Marie paru dans la Quinzaine littéraire n° du 15 juillet

     

    La-quinzaine.jpg                            La revanche du parti noir….

     

     

                    Michel Eliard, Michel Godicheau, Pierre Roy :La revanche du parti soir ;la lente mise à mort de l’école publique. Préface de Henri Pena –Ruiz Editions Abeille et Castor 2011 316 pages 18 euros , 50.

     

                 De tous les thèmes ouverts à l’imagination des  barbouilleurs de copie en tous genres , bardés ou non de titres et de diplômes,  l’école est de loin le plus maltraité. Il n’est pas dans le coin le plus reculé de la feuille la plus obscure, dans la recoin le plus sombre de n’importe quel ministère, de Trissotin, qui n’ait son idée sur la « réforme »  de l’école.  Mais chose qui paraît au premier regard étrange et curieuse : tous ces projets répètent inlassablement les mêmes exigences, mises en œuvre tout aussi inlassablement par les ministères successifs : dénoncer un prétendu entassement de connaissances déclarées inutiles,« alléger », « élaguer » des programmes hypocritement déclarés « encyclopédiques » .

       La liste des poncifs que ces exigences  suscitent est interminable : l’égalité des chances( à la place de l’égalité des droits) mettre « l’enfant au centre du système scolaire » , la « massification » de l’enseignement,  la formation tout au long de la vie, le dialogue avec les usagers, l’interdisciplinarité , 80 % d’une  génération au baccalauréat, le remplacement du cours magistral( ?) par le dialogue et par des activités plus ou mois ludiques où l’élève  façonne lui-même son savoir(illusoire), les méfaits abominables( et coûteux !)du redoublement, les horreurs de la notation qui traumatisent les élèves( bientôt confrontés aux suppressions d’emploi urbi et rure qui, elles,  ne devront pas les traumatiser puisqu’elles expriment la loi du marché et la loi n’est-ce pas c’est la loi !…et d’ailleurs ,c’est bien connu, sur le marché tout le monde est gagnant, même les perdants…etc .

     

         Ces poncifs recouvrent une politique et le premier mérite de La revanche du parti noir est de la définir .La tâche n’est pas facile. A l’ère dite de « la com » les faits les plus simples sont présentés sous un jour qui masque leur réalité la plus élémentaire. Une époque qui invente les bombardements humanitaires n’a aucune peine à déguiser une contre-réforme en réforme, un démantèlement en rénovation, une dislocation  en reconstruction.

     C’est ,selon la formule de Michel Sérac » le lycée light qui rend facultatifs Molière ou Voltaire, élague les faits historiques, l’histoire importune des révolutions.. .etc» Dans le droit  fil de cet élagage généralisé, l’ineffable Jack Lang ,le meilleur financier ministériel de l’enseignement catholique( les accords Lang-Cloupet)  avait mis en doute la nécessité d’un enseignement spécifique de la grammaire puisque tous les enseignants de toutes disciplines enseignent( ou au moins parlent) en français ! Rien ne vaut la pratique !

      Avec son goût des formules choc sans doute fabriquées par ses serviteurs en communication Nicolas Sakozy a donné une définition pertinente de cette politique. Au lendemain de son élection à la présidence d e la         République se hâtant de se rendre au Vatican prendre possession du titre de chanoine de Latran réservé depuis belle lurette aux rois de France pourtant  déchus. Il  a déclaré « L’instituteur ne remplacera jamais le curé » . Par cet acte d’allégeance à Benoît XVI et cette affirmation de la subordination de l’instruction au dogme et à la foi, Nicolas Sarkozy affirmait une continuité : la tentative systématique et multiforme de réduire l’instruction et donc l’école publique et ses personnels au niveau le plus bas possible.

                             C’est sans doute à cette fin qu’il a nommé au ministère de l’Education nationale un homme dont toute la carrière se résume à trois fonctions successives ( compte non tenu de la députation qui n’a rien d’une fonction) chef de groupe à l’Oréal, chef de projet  à l’Oral, Directeur des ressources humaines à l’Oréal. Tout un programme.

                          Le premier mérite du livre d’Eliard, Godicheau et Roy est de définir ce que cachent réellement ces poncifs et la rhétorique amphigourique  qui leur sert d’emballage médiatique. Le second mérite est de déterminer le rôle central joué dans cette politique par « le parti noir » c’est-à-dire l’Eglise catholique  allié fort précieux du pouvoir dans ce type d’entreprises. Son troisième mérite est de montrer comment l’Union européenne et sa Commission, véritable conseil d’administration des intérêts privés dont ses membres sont issus, joue un rôle d’accélérateur voire d’incitateur dans cette politique. C’est en effet l’Union, européenne qui a systématisé l’ idée superbe du  « service public »…rendu par des organismes privés et donc le « partenariat public-privé » dans lequel le secteur public finance et supporte les pertes éventuelles et secteur  privé » ramasse les bénéfices.

     

     

                            «  L’égalité des chances ».

     Combien de mesures, combien de « réformes » ont été prises depuis trente o u quarante ans au nom de « l’égalité des chances » opposée à « l’égalité en droit » o u »des droits » qui ne serait qu’une abstraction vide de contenu et donc conservatrice ou réactionnaire. Les auteurs rappellent d’abord que le premier promoteur de la première, opposée à la seconde, fut le maréchal Pétain en personne. Dans son discours du 11 octobre 1940 il déclarait :

     «  Le régime nouveau(…) ne reposera plus sur l’idée fausse de l’égalité naturelle des hommes, mais sur l’idée nécessaire de l’égalité des « chances » données à tous les français de prouver leur aptitude à servir(…) Ainsi renaîtront les élites véritables que le régime passé a mis des années à détruire et qui constitueront les cadres nécessaires au développement du bien-être et de la dignité de tous. »

     Le même Maréchal en même temps supprimait les Ecoles normales des instituteurs, les syndicats et décidait de financer l’enseignement catholique. Si mes souvenirs sont bons, ce financement était assuré non par le ministère de l’Education nationale mais par le Ministère de l’Intérieur, soulignant ainsi la mission d’ordre moral (si l’on peut dire..)assumée traditionnellement par  cet enseignement. Il est vrai que le clergé remerciait alors abondamment le Maréchal en lui distribuant force lauriers.

       Un droit est inscrit dans un ou des textes. On peut s’appuyer sur son existence reconnue pour en exiger l’application, avec des possibilités de succès qui dépendent des rapports de forces ,de la combativité de ceux qui en exigent la mise en œuvre, de la résistance opposée  en face ..etc ; les « chances » relèvent d’on ne sait quels aléas , du hasard ou de la grâce divine qui n’en est qu’un autre nom.

     La professeur de droit Geneviève Koubi, citée par nos auteurs, a explicité le sens de l’opposition entre ces deux égalités, l’une trompeuse, l’autre de principe . « Le discours juridique s’incline devant la décision économique. L’égalité des chances est un des outils dont disposent les gouvernants (…)pour entériner les conséquences de leurs politiques économiques » L’égalité des chances est celle des individus qui achètent un billet  de loterie : ils ont tous une chance ( infime) de gagner mais ils n’ont aucun droit à faire valoir et à revendiquer.

                             Le parti noir.

     

       Rien d’étonnant que dans cette perspective la bourgeoisie française, sous ses divers gouvernants de toutes étiquettes politiques, ait fait appel à l’Eglise catholique et à son école. Partout où elle le peut grâce à sa place dans la société et dans l’Etat, l’Eglise se bat contre les libertés les plus élémentaires : là ou elle le peut encore elle se bat pour interdire le divorce , (non pas à ses seuls fidèles mais à tous les citoyens ,ce qui relève du totalitarisme) , là où elle le peut( et elle le peut dans de nombreux pays) elle interdit la liberté d’avorter( et là encore non seulement à ses fidèles mais à l’ensemble des citoyens, utilisant à cette fin totalitaire le bras armée  de l’Etat).Là où elle est trop affaiblie pour pouvoir imposer, elle compose avec la complicité des pouvoirs en place.

     

        Tout au long de la deuxième moitié du 19 éme siècle et au début du 20 éme siècle l’Ecole publique s’est construite contre la main-mise du clergé qui a multiplié les obstacles : subordination de l’instituteur au curé, pas d’enseignement secondaire pour les filles, puis pas  de mixité garçons et filles. La République a encouragé cette émancipation pour deux raisons complémentaires, fort bien élucidées par les trois auteurs de ce livre : jusqu’à la fin du 19 ème siècle l’Eglise affirme son attachement à la monarchie et donc son hostilité à la « gueuse »,ensuite le développement du capitalisme exigeait la formation d’une main d’oeuvre et de cadres qualifiés. Elle a   besoin de comptables, d’ingénieurs, de chimistes, de physiciens, de géologues, de géographes , de médecins…etc et donc d’un enseignement fondé sur la méthode scientifique et non sur le dogme et sur sa forme dégénérée , le catéchisme . Cette double exigence la pousse à enlever le contrôle de l’école à l’Eglise.

     

                           A perdant – gagnant : le partenariat public-privé !

         Depuis un demi-siècle les priorités se sont inversées. La loi du 31 décembre 1959, dite loi Debré, fait entrer l’école catholique dans la notion vague – mais rentable ! – du « service d’intérêt général », bien entendu reconnu ensuite par l’Union européenne. L’exposé des motifs de la  loi Debré affirme d’abord : » Tout conduit aujourd’hui la France à instruire une jeunesse plus nombreuse et ,en dépit de tout ce qui a déjà été fait, l’effort immense qui doit être demandé au pays pour assurer son avenir ne peut être mené à bien qu’avec le concours de tous. » Cette formule vague signifie qu’il faut mettre l’école privée( à 93 % catholique, sur le même plan que l’école publique et donc lui assurer les mêmes crédits( et depuis même plus !). Tordant l’ histoire avec un sans-gêne fort répandu, l’exposé des motifs ajoute :  « Pendant la Résistance et au lendemain de la libération (…) les esprits les plus clairvoyants avaient compris que la France avait besoin de rassembler toutes ses forces pour surmonter les difficultés qui l’attendaient et que cette indispensable unité imposait de mettre fin aux discordes scolaires sans pour autant imposer l’uniformité. »

       Aujourd’hui les grands pays capitalistes sont engagés dans une vaste entreprise de désindustrialisation ( de  1999 à 2009 les Etats-Unis ont fermé 57.000 usines !). Les générations d’ingénieurs et autres métiers de ce type appartiennent au passé, remplacés en grande partie par des métiers qui fabriquent et vendent du vent( communication, management,  sondages, publicité, animation, cabinets d’audit…etc), Aussi, en dehors d’une élite sociale réduite confiée de plus en plus à des établissements privés couverts de crédits  les gouvernements ne confient plus à l’école que la formation( si l’on peut dire)  de futurs précaires aux emplois à saute-mouton.

      Dès lors se sont succédé les lois finançant l’école privée (à 93 % catholique), assimilant l’école publique à cette dernière en inventant le « projet d’établissement » copié-collé sur la « caractère propre » des établissements privés…

     De tout cela Eliard, Godicheau et Roy donnent une description que l’on ne risque guère de trouver ailleurs. Aussi bien donc ne pas s’en priver.

                                   jean-jacques marie

     

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