Au micro, David Gozlan, Secrétaire général de la Libre Pensée.
Je tiens tout d’abord, au nom de la Libre Pensée, à assurer de tout notre soutien les membres de de Charlie Hebdo, l’ensemble de ses journalistes et des familles touchées par ce drame [1].
J’ai le plaisir d’accueillir aujourd’hui Nicolas Sadoul, secrétaire national de la Ligue de l’Enseignement. Peux-tu te présenter en quelques mots à nos auditeurs ?
N. Sadoul : Je suis donc secrétaire national de la Ligue de l’Enseignement, en charge pour notre confédération générale des œuvres laïques, de la formation, du développement durable et de la laïcité. J’ai donc en charge, avec une équipe, d’animer nos réseaux départementaux et régionaux dans le cadre de notre programme national.
D. Gozlan : Tu viens de le dire, tu es responsable de la laïcité et d’un certain nombre d’autres secteurs. Quels sont vos champs d’action pour les auditeurs qui ne connaissent pas la Ligue de l’Enseignement ? Est-ce que tu peux expliquer quels sont vos domaines de compétences, d’influence, où est-ce que vous agissez ?
N. Sadoul : La Ligue de l’Enseignement est née en 1866, elle va avoir 150 ans en 2016. Elle est à la fois un mouvement d’idées et d’opinions qui vise à promouvoir l’éducation populaire, l’éducation pour tous, les loisirs éducatifs, la culture, en étant porteur d’un projet de transformation sociale profond et qu’elle assume.
Elle est deuxièmement, un réseau d’associations locales fédérées départementalement, un mouvement associatif, donc près de 30 000 associations locales : des associations sportives, des associations de quartier, des associations culturelles, de théâtre amateur, de chorales, qui vivent, qui sont adhérentes à la Ligue et qu’il faut animer, dont il faut former les militants.
Troisièmement, nous sommes un réseau d’entreprises de l’économie sociale et solidaire, et à ce titre là nous animons des maisons de quartier, des centres sociaux, des organismes de formation professionnelle, des centres de loisirs, des centres de vacances, des réseaux d’ingénierie sociale, bref un tissu d’activités éducatives, citoyennes et culturelles très dense puisque cela concerne à peu près 3 millions d’adhérents.
D. Gozlan : Ce n’est donc pas une petite organisation ! Vous êtes véritablement insérés dans la société et au plus près des citoyens de ce pays. Toi, en tant que responsable de la laïcité, quels sont les messages que la Ligue de l’Enseignement réussi, ou veut faire passer à travers ce réseau ?
N. Sadoul : La Ligue de l’Enseignement, comme je le disais, est un mouvement d’éducation populaire, né dans la deuxième moitié du 19ème siècle, sous le Second Empire autoritaire et dictatorial. Elle promet la mise en place, après l’échec de la IIe République, d’un mouvement qui vise à instaurer l’école publique, laïque, obligatoire et gratuite. C’est à partir de ce mouvement d’opinion que naît la Ligue et qui aboutira aux grandes lois scolaires de 1881 et 1882.
Pour la Ligue de l’Enseignement, la laïcité est avant tout portée parce qu’elle est associée à l’école publique, laïque et obligatoire. Jusque dans les années 90, du XXe siècle, la laïcité pour les ligueuses et les ligueurs est indissociable d’un travail par et pour l’école de la République. C’est donc une laïcité scolaro-centrée.
A partir des années 90, prenant en compte le fait que notre société est multi culturelle, que les notions de diversités font partie intégrante de notre société, la laïcité évolue et est perçue par nos militants, nos adhérents comme un fait social, un fait culturel et plus simplement lié et entrevu qu’au travers de la question scolaire même si évidemment la question de la laïcité et celle de l’école de la république sont toujours très intimement liées.
Pour la Ligue de l’Enseignement la question de la laïcité et en même temps un travail autour de la pédagogie – expliquer ce qu’elle est et quelque fois ce qu’elle n’est pas auprès des enseignants, des animateurs, des dirigeants d’associations adhérentes – et un travail d’influence, de production d’outils pédagogiques, de textes, sur ces questions.
D. Gozlan : Je sais que vous allez sortir un ouvrage, peut-être peux-tu nous en dire un mot et rebondir sur cette question et ce questionnement aujourd’hui dans la société qui est la nôtre. Parce que la laïcité est beaucoup décriée, elle est malmenée, elle est utilisée en tant que mot, en tant que terme, elle est fourvoyée, donc cette question de laïcité doit être au centre aussi du contrat social, de la société. Comment vous combattez cette laïcité malmenée et utilisée à mauvais escient ?
N. Sadoul : D’abord en essayant de se mettre dans une dynamique non pas de défense mais de promotion de la laïcité, d’explication de la laïcité. Rappeler que la laïcité dans notre pays c’est bien sur la loi de séparation des Eglises et de l’Etat de 1905, qui est une loi de liberté qui affirme dans son article premier l’importance, non pas de la liberté de religion – ce que certains croient – mais la liberté de conscience. C’est de promouvoir que la loi de séparation des Eglises et de l’Etat c’est une loi de liberté qui permet à chacun et à chacune de croire ou de ne pas croire, de changer d’opinion, de changer de croyance, bref de vivre d’une manière libre son aspiration ou non aux spiritualités et d’échanger.
Aujourd’hui, ce que nous constatons c’est que trop souvent la laïcité est perçue comme liberticide, comme interdisant. Confondant aussi ce qui est applicable à l’espace public. Qu’est-ce que l’espace public dans la République ? C’est pas l’espace commun, ce n’est pas l’agora. L’espace public c’est l’espace des institutions publiques. Et là s’applique la neutralité pour les agents publics. Pour le reste, c’est l’agora. Et la liberté de conscience, la liberté d’expression et donc tous les corolaires à ces libertés, sont possibles, y compris la liberté religieuse. Nous essayons, de manière très massive, importante, d’expliquer cette promotion de la laïcité qui est un facteur de liberté.
Ce que nous constatons aujourd’hui, y compris au près d’un certain nombre de républicaines et républicains qui pensent bien faire, c’est une promotion de la laïcité non pas comme un élément de liberté mais comme un élément restrictif des libertés publiques y compris ce que nous n’avons pas imposé aux catholiques grâce à Briand, Jaurès et aussi Ferdinand Buisson, c’est-à-dire d’imposer contre les catholiques la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, nous souhaiterions le faire aujourd’hui, au XXIème siècle, pour celles et ceux de nos concitoyens, concitoyennes qui ont choisi d’autres spiritualités, et notamment pour nos concitoyens et concitoyennes arabo-musulmans et musulmans qui l’auraient choisi.
C’est ce que nous voulons faire en essayant d’éprouvé, d’éreinter les processus éducatifs jusqu’au bout. Nous ne sommes ni juges, ni législateurs, ni docteurs ou moralisateurs, nous sommes avant tout des éducateurs et à partir de là nous poussons jusqu’au bout, y compris dans nos prises de positions, la question de la liberté d’éducation. Par exemple la charte de la laïcité à l’école, que nous avons appelée de nos vœux, que le ministre Peillon a mis en place, nous l’avons soutenue et nous avons créé avec des enseignants, avec des animateurs, un ensemble d’outils pédagogiques visant à la faire connaitre dans le péri-éducatif, mais également pour que ce soit un moyen de discussion avec les parents d’élèves, avec les élus locaux, avec les responsables associatifs, car si la Charte de la laïcité concerne l’école de la République, elle concerne tout un chacun.
D. Gozlan : Vous obtenez des succès en la matière ? Il y a des choses concrètes ou des succès concrets dont tu pourrais nous parler ?
N. Sadoul : En matière de processus éducatif il est très difficile de parler de succès ou d’échec, mais ce que l’on peut voir aujourd’hui c’est qu’il y a véritablement une recrudescence des pédagogies, des dispositifs didactiques qui sont mis en œuvre. D’abord par l’institution, l’Education nationale, avec laquelle nous travaillons, dont on est partenaire. Des véritables programmes, des pédagogies de la laïcité en direction des enseignants au sein des Ecoles supérieures du professorat et d’éducation, mais aussi dans les formations des fonctionnaires, d’un certain nombre de spécialistes et professionnels de l’éducation, sont mis en œuvre.
Je ne sais pas si on peut parler de succès, en tous les cas là où nous intervenons avec des associations auprès de collectivités, pour que des personnes qui ne partagent pas le même point de vue, puissent dialoguer, élaborer des projets ensembles – que ce soit l’alimentation en collectivité, la prise en compte de la diversité culturelle dans des espaces de formation collective, l’appréhension d’un enseignement des faits religieux, faits religieux qui ne sont pas les religions mais qui sont les faits historiques, sociaux – là nous pouvons dire que nous avançons.
Je le dit à un moment, même si vous l’avez évoqué en introduction de l’émission, où effectivement la liberté d’expression est touchée de plein fouet puisque des journalistes de Charlie Hebdo ont été assassinés. Il faut que nous soyons très vigilants à ce que justement la laïcité qui permet l’expression de chacun, ne soit pas là aussi contrariée ou fasse l’objet de contresens dans l’agora. C’est un élément très important.
D. Gozlan : Dans ton propos il s’agit de laïcité et de libertés publiques, et il s’agit du titre d’un colloque que nous organisons en commun – Ligue de l’enseignement, Ligue des Droits de l’Homme, Union Rationaliste et Libre Pensée – qui aura lieu le 21 mars prochain, avec des représentants de la Libre Pensée, Christian Eyschen et Michel Godicheau, des responsables de la Ligue de l’Enseignement, Jean-Michel Ducomte et Pierre Tournemire, une communication de Françoise Olivier-Utard pour l’Union Rationaliste et une communication de Michel Tubiana pour la LDH. D’autres intervenants très importants sur cette question de laïcité et libertés publiques : Jean Baubérot, Henri Pena-Ruiz, Philippe Portier, Claire Serre-Combe (porte-parole d’Osez le Féminisme), Patrice Rolland mais aussi Jean-Louis Bianco et Mohammed Moussaoui (Pdt de l’Union des Mosquées, Pdt d’honneur du Conseil français du culte musulman).
Tous cela pour discuter de cette question de laïcité et de libertés publiques, parce que comme tu l’as dit Nicolas, il y a une utilisation liberticide de la laïcité.
Pour terminer, quelles sont les publications et prévisions de la Ligue de l’Enseignement pour les prochaines années ?
N. Sadoul : Nous avons présenté fin décembre le programme de nos 150 ans qui auront lieu en 2016 avec tout un ensemble de colloques, une ligne éditoriale très féconde avec une histoire générale de la Ligue de l’Enseignement qui sera éditée, un partenariat avec France Télévision, l’INA, une série de documentaires et d’émissions y compris avec Radio France sont prévus. Tous les détails sont sur notre site www.laligue.org.
Dans les prochains jours nous éditons et nous présentons un ouvrage aux éditions Privat, dans la collection « Le comptoir des idées », qui s’appelle « Pour un enseignement laïque de la morale » sous la direction d’Eric Favet et de Guy Coq, et qui fait le point aujourd’hui sur ce questionnement au moment où il y a une grande consultation nationale au niveau des enseignants sur la question de l’enseignement laïque de la morale, jusqu’au 22 janvier.
C’est un ouvrage de près de 200 pages qui fait le point sur l’histoire des termes de la morale, les liens morale et éthique, l’histoire de cet enseignement à l’école et surtout un certain nombre de propositions qui sont faites.
Là encore n’hésitez pas à consulter notre site pour plus de détails.
D. Gozlan : Auditrices, auditeurs merci. Pour pouvez soutenir la Libre Pensée en allant sur son site www.fnlp.fr.
Au revoir.
[1] N.B. : cette émission a été enregistrée le mercredi 7 en début d’après-midi, nous venions juste d’apprendre l’attentat contre Charlie Hebdo, mais nous ne savions rien de ce qui allait malheureusement suivre. Nous saluons la mémoire de toutes les victimes de ces jours noirs et apportons notre soutien à toutes les familles touchées par ce drame