• France-culture : La Libre Pensée reçoit Michel Tubiana de la Ligue des Droits de l'Homme

    1 avril 2015

    France-culture

    Dimanche 8 février 2015 - La Libre Pensée reçoit la LDH

     

    Auditrices, auditeurs, bonjour, 
    Au micro, David Gozlan, Secrétaire général de la Libre Pensée. J’ai l’honneur et la joie de recevoir Michel Tubiana, représentant la Ligue des Droits de l’Homme.
    Pour commencer Michel, peux-tu te présenter et présenter les activités de la LDH d’une manière générale ?

    Michel Tubiana : Je suis un ancien président de la Ligue, pas tout à fait rangé des cadres, c’est pourquoi je suis là. 
    La Ligue, depuis 1898, n’a cessé de parfaire son champ d’activités et elle est loin encore de tout ce qu’elle pourrait et devrait faire : libertés publiques, libertés individuelles, défense du droit des étrangers, des droits économiques et sociaux, bien entendu de la laïcité, etc. Aucun des champs des droits ne nous est étranger, tout cela nous concerne.

    D.G. : L’invitation d’aujourd’hui est liée au fait que nous préparons ensemble, LDH, FNLP mais aussi la Ligue de l’Enseignement et l’Union Rationaliste, un colloque le samedi 21 mars. Ce colloque est intitulé « Laïcité et libertés publiques ».
    Pourquoi la LDH pense qu’il est essentiel de faire ce type de colloque ?

    M.T. : Tout d’abord parce que cela permet d’éclaircir un peu les choses en ce qui concerne la laïcité elle-même. Il ne t’aura pas échappé qu’aujourd’hui tout le monde est laïque ! Même ceux qui par le passé n’ont jamais cessé de combattre la laïcité se découvrent tout à coup un amour immodéré de la laïcité, souvent, il faut bien le reconnaître, parce que ce qui les anime avant tout c’est d’être anti musulmans. La laïcité devient une espèce de glaive porté contre les musulmans. 
    Donc c’est déjà une manière de dire ce qu’est la laïcité, c’est-à-dire un dispositif institutionnel qui sépare l’Église et l’État mais qui ne prohibe pas les religions, qui ne les empêche pas de vivre. Mais qui en revanche nous garantit à tous notre liberté de conscience, car derrière la laïcité c’est ce concept fondamental pour l’humanité c’est-à-dire avoir sa liberté de conscience en terme individuel et collectif.
    Trop souvent aujourd’hui la laïcité a été entendue comme étant une forme d’atteinte aux libertés publiques pour certains. J’ai toujours pensé que la laïcité n’avait pas besoin d’adjectif, elle se suffit à elle-même. Elle n’a pas besoin d’être « nouvelle »« ouverte » ou ce que l’on veut, elle est la laïcité telle qu’elle est instituée dans l’expérience française. Il faut bien reconnaître qu’il n’y a pas beaucoup de pays qui pratiquent la laïcité, dans le sens de la Séparation des Églises et de l’État. Il y en a peut-être un ou deux autres mais pas plus. 
    La laïcité, à partir de là, et les libertés publiques, c’est l’affirmation que la laïcité est émancipatrice. Elle est émancipatrice individuellement mais elle est aussi un des concepts du dispositif institutionnel qui permet de protéger les libertés publiques, la liberté de conscience mais aussi la liberté individuelle de croire, de ne pas croire, d’être ce que l’on veut, y compris d’être sans discrimination selon ses orientations sexuelles, selon ceci ou cela, tout en organisant un vivre ensemble, une communauté de vie qui permet d’accepter les autres. 
    Or, pour des raisons ultimes que nous n’aurons pas le temps d’évoquer ici, certains pensent que la laïcité c’est la bonne méthode pour restreindre les libertés publiques. Et bien c’est là aussi un contresens majeur, c’est détourner la réalité de ce qu’a été l’histoire de la laïcité dans ce pays, qui a toujours accompagné les libertés et qui n’a jamais été une contrainte.

    D.G. : On voit bien quelle est la philosophie, partagée par la Libre Pensée, de l’organisation de ce colloque. Auditrices, auditeurs, pour bien vous faire comprendre l’importance du colloque et la portée qu’il va avoir – je le pense et je l’espère – je vais vous indiquer les intervenants : les 4 organisations citées,Jean Baubérot (Sociologue des religions), Henri Pena-Ruiz (Philosophe), Philippe PortierClaire Serre-Combe (Porte-parole d’Osez le Féminisme), Mohammed Moussaoui (Pdt de l’Union des Mosquées et Pdt d’honneur du Conseil Français du Culte Musulman), Patrice Rolland (Juriste) et Jean-Louis Bianco (Pdt de l’Observatoire de la laïcité). 
    Vous voyez qu’à travers ce panel il y a une diversité des orateurs. Des actes sortiront de ce colloque que nous espérons fructueux.

    Michel, pour revenir à la question des libertés, dans un de vos récents communiqués la LDH écrit la chose suivante : « Privilégier la dénonciation et la mise à l’écart, c’est au contraire engendrer des situations insupportables au regard des droits élémentaires des personnes visées, alimenter amertume et contentieux, donner finalement le sentiment d’une République essentiellement répressive. »
    Quelles sont pour toi les atteintes aux libertés publiques et les dangers qui en découlent ?

    M.T.  : Dans cette période de grand unanimisme national, il faut bien reconnaître que le danger qui nous guette,- c’est vrai aujourd’hui de manière démultipliée car il y a eu ces événements terribles mais c’est une vieille tendance qui ne date pas d’aujourd’hui - , c’est de vouloir un peu plus enfermer les gens dans un peu moins de libertés au nom d’un processus sécuritaire et au nom de leur sécurité. Cela a toujours été pour l’État « donnez-moi de vos libertés et je vous garantis votre sécurité. » 
    On sait que c’est un marché de dupe parce que personne n’est en état de garantir absolument la sécurité, le risque zéro n’existe pas. Non seulement il n’existe pas mais si il existait cela voudrait dire que l’on se trouverait dans une société parfaitement totalitaire et donc irrespirable. Dans ces cas-là d’ailleurs, le risque c’est toujours l’autre, celui qui pense mal, celui qui pense librement qui est souvent visé. 
    Et puis on voit bien qu’après chaque attentat, les gouvernements se font un devoir d’essayer de prendre un peu plus de mesures de contrôle de la population, un peu plus de mesures dites « anti-terroriste », un peu plus de pouvoir donné aux policiers, un peu plus de justice d’exception etc. etc.

    D.G. : Tu as des exemples par rapport à cette justice d’exception ?

    M.T. : Une mesure passée au mois de novembre, contre laquelle nous avons protesté, était de transférer la répression de l’apologie du terrorisme, - qui était dans le cadre de la loi de la presse- , au code pénal. On a bien vu tout de suite ce que cela a donné : cette espèce d’hystérie où l’ivrognerie de quiconque à l’égard d’un policier, sans même de publicité, sans même de médias, mais dans le cadre classique d’un policier qui essaie de le raisonner – un mot sur le terrorisme et c’est trois ans de prison. Etc. 
    Un gamin de 8 ans qui est parfaitement incapable d’expliquer ce que c’est que le terrorisme, se retrouve interrogé par des policiers.

    Nous avions souligné les dangers de cela. Double danger : d’abord les attaques manifestes aux libertés des gens, et aussi une forme de dévalorisation de l’apologie réelle du terrorisme que l’on a du mal à poursuivre sur le net, sur lequel on a aussi pris des mesures d’exceptions. 
    Il y a aussi le projet du gouvernement qui est cette fois-ci de passer la lutte contre le racisme, la répression du racisme, la provocation à la haine etc., de la loi sur la presse au code pénal normal. Alors là on reste un peu saisi car il faut bien percevoir ce que cela veut dire. D’une part cela va être une régression fantastique du débat en général, mais d’autre part concrètement cela veut dire quoi ? Cela veut dire que le procès des caricatures de Charlie Hebdo sera jugé dans une chambre de tout venant entre deux accidents de la route, trois chèques sans provisions, quatre junkies et autres affaires du même genre ! 
    Le débat profond, intéressant qui a lieu parce que la loi de la presse s’appliquait dans le cadre de la 17ème Chambre correctionnelle à propos des caricatures de Charlie, va se trouver transformer en délit avec n’importe quoi au bout de chemin, mais une réelle atteinte à la liberté de la presse. Et si ce n’est pas une atteinte directe à la liberté de la presse cela le sera indirectement par les phénomènes d’auto censure que cela engendrera.

    Voilà deux exemples qui ne sont pas les pires. 
    Une idée : la France a vécue 5 ans sans juridiction d’exception. 5 ans dans ces trente dernières années.
    81 : Abolition de la Cour de sureté de l’Etat
    86 : Création des juridictions et procédures anti-terroristes.
    Depuis 86, 15 lois sont intervenues pour durcir la chose et comme nous l’avions dit, comme nous l’avions prévu, malheureusement la procédure anti-terroriste a fait des petits et maintenant il y a la procédure dite« en criminalité organisée » qui rejoint quasi à l’identique la procédure anti-terroriste. C’est-à-dire que ce qui était censé être une exception est pratiquement devenu le doit commun au niveau de la procédure pénale.

    D.G. : Cela va être difficile pour un libre penseur de se mettre dans cette peau là, mais je vais me faire l’avocat du diable. Dans le climat délétère que tu as décrit, certains médias et surtout certains instituts de sondages justifient la situation et affirment notamment que les Français sont prêts à abandonner une part de leur liberté. Faut-il abandonner une part de nos libertés pour justement se protéger de phénomènes qui semblent nous dépasser ? On pourrait revenir après sur l’origine de ces phénomènes, on a un point de vue là-dessus.

    M.T. : C’est une idée ancienne. Surfer sur la peur, l’émotion pour essayer de faire passer des choses, le gouvernement précédent avait atteint si je puis dire, le niveau du reflex de Pavlov. A chaque événement de droit commun ou autre on nous faisait une nouvelle loi en matière pénale !
    Le pouvoir actuel le fait avec un peu plus de modération et un peu plus de temps, je lui en donne acte, ce qui n’enlève rien à la nocivité de fond de ces mesures. Quant aux fonds des choses, il n’y a pas de meilleure réponse que celle que Benjamin Franklin a donnée : « Ceux qui pensent qu’en abandonnant un peu de liberté ils auront un peu plus de sécurité, n’auront au bout de chemin ni sécurité ni liberté. »

    D.G. : Là-dessus on est vraiment d’accord. Aujourd’hui il y a un débat sur « comment fairepour réintroduire la notion de laïcité dans la société ? ». C’est vrai que c’est complexe. Est-ce que la Ligue des Droits de l’Homme a une idée sur la remise en place de ces questions de laïcité ? 
    Nous, je te le dis, comme cela on est dans le débat, nous considérons que c’est le politique tout d’abord qui doit donner l’exemple. Qu’est-ce que vous en pensez ?

    M.T. : Bien évidemment que c’est le politique qui doit donner l’exemple et respecter le caractère laïque des institutions sous tous ces aspects. En même temps, faire de la laïcité une espèce d’alpha et oméga de la résolution d’une crise qui a bien d’autres composantes que l’aspect laïque, c’est comme penser que l’école va résoudre tous les problèmes. C’est faire supporter à l’Éducation Nationale des enjeux sociétaux qui dépassent et de loin, la place de la seule école !
    Problèmes sociaux, mais aussi il faut le dire très clairement, cette espèce de culture post-coloniale qui a imposé un mode de vie ghettoïsant, stigmatisant, dévalorisant, à toute une partie de la population, ceux que l’on qualifie encore aujourd’hui d’immigrés de la 2ème et 3ème génération qui ont une carte nationale d’identité française, mais on continue de les qualifier d’abord d’immigrés. Je ne sais pas à quelle génération on finira par enlever cette terminologie mais il faut espérer que ce soit le plus rapidement possible car ça n’a déjà que trop tardé ! Cela illustre bien ce type de problème d’ostracisme et autre. Ce n’est pas parce que l’on est pauvre que l’on devient criminel, ce n’est pas parce que l’on est pauvre que l’on devient djihadiste ou fondamentaliste.
    Avant de se préoccuper d’un certain nombre de problèmes symboliques, faudrait-il que les symboles de la République soient respectés. 
    Et les symboles de la République ce sont, certes la laïcité, mais aussi l’égalité, l’égalité sociale, le fait qu’il n’y ait pas de discrimination, le fait de pouvoir vivre de son travail, et le fait que l’Éducation nationale soit autre chose qu’une machine à reproduire des échecs dans un certain nombre de quartiers. 
    Voilà ce que je peux dire.

    D.G. : Je te remercie. Je rappelle que ce colloque aura lieu le 21 mars. « Laïcité et libertés publiques » avec la LDH, la Ligue de l’Enseignement, l’U.R. et la FNLP.

     
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