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    France CultureEtat d’urgence :  La Libre Pensée reçoit la Ligue des Droits de l’Homme

    REECOUTER L'EMISSION

    Etat d’urgence :

    La Libre Pensée reçoit la Ligue des Droits de l’Homme

    à son émission de France-Culture

    (13 décembre 2015)

    Emission animée par David Gozlan, Secrétaire général de la Libre Pensée.

    Invités : Françoise Dumont, Présidente de la Ligue des Droits de l’Homme et Alain Esmery, membre de son Bureau national

     

    David Gozlan : Vous avez initié un appel qui s’intitule « Nous ne céderons pas ». Pourquoi cet appel ? « Nous ne céderons pas » mais à quoi ? Précisons pour bien comprendre que cet appel se situe dans le cadre de l’état d’urgence qui est en cours.

     

    Françoise Dumont : Si nous avons lancé cet appel « Nous ne céderons pas », c’est pour envoyer deux messages. A la fois nous ne céderons pas à ces actes de terrorisme épouvantables qui ont créé une peur légitime et en même temps nous ne céderons pas à ce vieux débat qui est un débat récurent entre liberté et sécurité. A la LDH, nous avons toujours pensé que l’on n’assurait pas la sécurité en perdant des libertés, notamment des libertés fondamentales.

     

    DG : On pourrait reprendre la phrase de Benjamin Franklin : « Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l'une ni l'autre, et finit par perdre les deux. » Cette phrase de Franklin est un avertissement. Aujourd’hui il est vrai qu’il y a une inquiétude de la part des français et surtout une incompréhension. Quand vous avez lancé cet appel un certain nombre d’organisations ont répondu et ont signé. Est-ce que vous pouvez nous en dire un peu plus ?

     

    FD : Aujourd’hui nous en sommes à environ 80 organisations signataires. Parmi elles il y a à la fois des organisations syndicales, des associations avec un spectre très large, car se sont aussi bien des associations liées à l’immigration que des associations qui sont liées à la défense de certains droits d’une manière générale. Ce que la LDH essaie toujours de faire, et finalement dans son histoire elle a plutôt réussi à bien faire, c’est à rassembler.

     

    Là il y a effectivement une inquiétude qui n’est pas facile à faire passer parce que la population est traumatisée, et je crois que l’on peut le comprendre, mais il y a une inquiétude vis-à-vis de ce que nous on caractérise un peu comme une fuite en avant vers du sécuritaire.

     

    DG : Quels sont les aspects de cette fuite en avant vers le sécuritaire ?

     

    Alain Esmery  : L’état d’urgence dispose qu’un pouvoir administratif est donné au Préfet qui peut faire procéder à des enquêtes, à des fouilles voir à des mises en rétention sans contrôle du juge judiciaire. On passe d’un état de droits qui est contrôlé par la loi, par le juge judiciaire, à un état où c’est le pouvoir administratif qui décide à un moment donner de l’opportunité d’aller faire une fouille dans une maison, une mosquée, une société s’il le faut.

     

    DG : Il y en a eu beaucoup depuis la mise en place de l’état d’urgence ?

     

    AE : A ce jour on comptabilise environ 3000 perquisitions administratives. Ces perquisitions ont parfois permis de trouver quelques armes et un peu de drogue. Mais ce qui nous interpelle et ce qui nous inquiète c’est qu’aucune information à caractère judiciaire sur des faits de terrorisme n’a été ouverte à la suite de ces 3 000 perquisitions.

     

    DG : Pour que nos auditeurs comprennent bien. Il y a eu 3 000 perquisitions ? mais aucune information judiciaire d’ouverte. Quel est le danger de cela ? Nous on le comprend, mais il faut l’expliquer.

     

    FD : Si vous voulez, le danger c’est qu’à partir du moment où ces perquisitions sont autorisées à partir de constats, d’éventuelles dénonciations, de faits qui ne sont pas avérés voir assez « fumeux », et bien le danger c’est que finalement tout à chacun puisse faire l’objet d’une perquisition. Perquisition qui souvent se déroule avec une certaine violence. A tel point que le Ministre de l’intérieur, lui-même, a dû rappeler aux Préfets qu’il n’était pas complétement indispensable d’utiliser la violence lors d’une perquisition. Pour revenir à un exemple très médiatisé de cette perquisition dans un restaurant où il n’était pas utile de défoncer une porte à coup de bélier, alors qu’il suffisait d’appuyer sur la poignée !

     

    AE : On peut ajouter que le régime de l’état d’urgence donne des pouvoirs accrus à caractère administratif dans contrôle judiciaire, mais aussi que la loi du 20 novembre 2015, à la suite des attentats, élargie les conditions dans lesquelles les assignations à résidence, comme les perquisitions, peuvent se faire. En l’espèce la loi prévoyait avant que l’on pouvait assigner quelqu’un à résidence au motif d’une activité dangereuse – c’est-à-dire sur une donnée objective – et cela a été remplacé par « à l’égard desquelles il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace ». On voit bien qu’il y a un vrai changement de logique et que l’on passe d’un danger avéré, existant à une menace.

     

    DG : On passerait de quelque chose d’objectif à quelque chose de totalement subjectif ?

     

    AE : Tout à fait.

     

    DG : Est-ce que la LDH tire la sonnette d’alarme par rapport à un type de population ? Est-ce que vous pensez que c’est toute la population française qui est visée ou bien est-ce que la population d’origine immigrée, la deuxième ou troisième génération, qui serait plus visée ? Est-ce que dans ces 3 000 perquisitions tout le monde est visé ?

     

    FD : C’est un peu tôt pour faire le point sur quelle population a été visée. Nous y travaillons. On va pouvoir très rapidement y voir clair, de façon un peu plus précise. Ce qui est certain c’est que depuis un certain temps, nous baignons dans un certain amalgame entre arabes, musulmans, terroristes, djihadistes et que nous avons vraiment l’impression que cet été d’urgence va contribuer, quand même, à désigner un certain nombre de boucs émissaires dans la population et de ce que nous pouvons en savoir aujourd’hui quand même, c’est que ces perquisitions visent tout de même un certain type de population et notamment la population musulmane ou supposée musulmane.

     

    AE : On peut aussi noter que dans les assignations à résidence, au titre de l’état d’urgence, il y a quand même eu plusieurs militants écologistes qui ont été assignés à résidence chez eux, 12 heures par jour, devant aller signer 3 fois par jour au commissariat le plus proche. Ce qui empêche tout de même une activité professionnelle régulière et que je sache ce n’étaient pas des apprentis terroristes ou supposés lanceurs de bombes.

     

    DG : J’ai une question. La Libre Pensée est allée à Oslo en 2011 pour la fondation de l’Association Internationale de la Libre Pensée, alors qu’un chrétien d’extrême-droite venait d’assassiner des dizaines de personnes. La Norvège a choisi de ne pas s’enfermer dans une logique de répression et de n’abandonner aucune de ses libertés. Pensez-vous rétrospectivement, qu’il aurait été possible, en France, de ne pas aller vers l’état d’urgence pour régler les problèmes ?

     

    FD : Je crois que malheureusement ces attentats sont venus dans une proximité d’élections et je crois qu’il y a eu un certain nombre d’émissions politiques par rapport à la possibilité justement de prendre un certain recul. Je ne dis pas de l’indifférence ! Personne ne peut être indifférent. Je crois qu’il revenait aux autorités politiques de prendre un peu de hauteur par rapport à cela, et c’est ce que la Norvège a fait, mais chacun sait bien que le contexte électoral ne favorise pas cela.

     

    AE : C’est vrai que le calendrier politique électoral a fait flamber les discours sécuritaires, les discours autoritaires.

     

    DG : Sous une certaine forme c’était un peu la course à l’échalote !

     

    AE : Oui tout à fait ! Comme si un discours à coup de menton avec ce que l’on a entendu, « on va les éradiquer », « on va les tuer tous », qui sont des propos inconsidérés puisque ce n’est pas comme cela que ça se passe. Cela permettait aussi de camoufler quand même, disons-le, un certain échec de la politique anti-terroriste. Ce n’est pas forcément le fait des policiers en charge de cela. C’est une logique qui semble toutefois avoir été mise en échec.

     

    DG : Autre questions que les français se posent : nous sommes en état d’urgence pendant 3 mois, est-ce que cela va durer ? Est-ce que cela doit durer ? Comment sortir de l’état d’urgence ? Quelles sont, vous, vos propositions ?

     

    FD : La question que vous posez, c’est un peu la question que nous avons posé dès le départ, puisque dès le lendemain des attentats nous avons fait un communiqué de presse, nous avons dit clairement que nous comprenions que l’état d’urgence soit décrété parce qu’il fallait que l’enquête puisse se dérouler très vite. Mais à partir du moment où vous fixez à l’état d’urgence un autre objectif que celui de permettre l’enquête vraiment factuelle, il est évident que vous vous installez dans une autre logique. La logique de dire on va être finalement dans l’état d’urgence, tant que l’on ne saura pas sûr qu’il n’y ait plus de réseaux, tant que l’on ne sera pas sûr que Daesh n’existe plus ! Je crois que là on entre dans un engrenage extrêmement compliqué dont il est effectivement difficile de sortir par ce que personne ne va prendre la responsabilité de dire « y a plus de danger ». C’est exactement l’exemple de Vigipirate. Vigipirate dure, car personne n’ose dire « y a plus de danger ».

     

    DG : Cela dure depuis 1995 quand même !

     

    FD : Oui, mais personne n’ose prendre la responsabilité de dire « On ne craint plus rien ». Cela mobilise des forces de police qui n’en peuvent plus et qui peut être serait plus utiles dans un suivi extrêmement pressant d’un certain nombre d’individus repérés.

     

    AE : L’exemple de Vigipirate est excellent parce que c’est toujours le coup politique : si je prends la décision sage et avérée que les risques ne sont plus majeurs, donc on arrête. Et puis 15 jours plus tard, il se passe quelque chose ! Vous êtes mort.

     

    Sur l’état d’urgence cela risque d’être le même problème. On doit quand même s’interroger car l’état d’urgence est un état d’exception, qui doit donc correspondre à une situation exceptionnelle. La situation exceptionnelle elle était certainement avérée le lendemain des attentats et les jours suivants. Est-ce qu’aujourd’hui on est dans une situation plus exceptionnelle qu’en février 2015 ? Je ne suis pas sûr.

     

    Et donc le risque c’est que les criminels de janvier et de novembre risquent d’arriver finalement à leurs fins, c’est-à-dire faire douter notre société quant à ses principes fondamentaux garantis par la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Renoncer au droit à la présomption d’innocence, celui de n’être privé de sa liberté que dans des cas prévus par la loi pour des motifs précis sous le contrôle d’un juge, renoncer à la liberté de rassemblement et de manifestation, est-ce que c’est cela que l’on veut ?

     

    DG : Je vous remercie pour cette discussion.

     

     

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    « L'Idée Libre n°311 décembre 2015 est parueLa Raison interviewe Jean-Marie BONNEMAYRE (CNAFAL) »
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