• La Libre Pensée sur France Culture - Dimanche 8 janvier 2017: Jean-Marc Schiappa reçoit Djanina Messali

    9 janvier 2017

    France-culture

    • La Libre Pensée sur France Culture -
    • Dimanche 8 janvier 2017
    • La Libre Pensée sur France Culture - Dimanche 8 janvier 2017: Jean-Marc Schiappa reçoit Djanina Messali

     
    9 janvier 2017

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    La Libre Pensée sur France Culture - Dimanche 8 janvier 2017

     

     

     Jean-Marc Schiappa reçoit Djanina Messali. 

     

     

    JMS. : Bonjour. Nous avons la chance et le plaisir de recevoir Djanina Messali. Djanina, bonjour.

    DM : Bonjour et merci de m'inviter à ce micro.

    JMS : Il s'est tenu une conférence à Niort à l'initiative de la Libre Pensée des Deux-Sèvres, à propos de Messali, votre papa, relative à son exil dans la ville de Niort.
    Djanina, qu'est-ce que Niort évoque pour vous ?

    DM. : D'abord je voudrais remercier la Libre Pensée parce que la Libre Pensée est un mouvement d'opinion si ancien, si connu, qui fait partie de la belle vitrine de la France à l'étranger, et je voulais vous dire que j'ai été très touchée par cette invitation. Dans ses mémoires Messali Hadj parle de tous ce monde associatif qu'il a croisé, qu'il a rencontré, qui l'a aidé, et il les nomme les amis des bons et des mauvais jours.
    Aujourd'hui j'étais avec les amis des bons et des mauvais jours. C'est en même temps de l'émotion et c'est pour moi un réel bonheur.

    JMS : Merci. Est-ce que vous pouvez nous donner votre impression, votre ressenti sur la conférence qui s'est tenue et que je sais les amis de la Libre Pensée des Deux-Sèvres envisagent de publier les interventions et communications sous la forme d'une brochure ?
    Quelle était votre impression et votre appréciation de cette conférence et des interventions du public ?

    DM : J'ai tout d'abord trouvé une salle pleine. Je ne m'attendais pas, un samedi après-midi, à avoir autant de monde dans une ville de province. Un monde de tous âge, des jeunes et des moins jeunes, ceux qui avait croisé Messali autrefois, et j'étais loin de penser que Messali avait laissé un tel souvenir derrière lui.
    Cette conférence était de belle tenue, d'un très bon niveau. Les questions posées étaient pertinentes et j'ai tout de suite compris que ces gens, qui savaient que Messali était resté trois années à Niort, n'en savaient pas assez sur ce personnage. Je pense que l'actualité qui est la nôtre a suscité une certaine curiosité des niortais pour appréhender la question coloniale, la question de l'islam, la question de la décolonisation, de la post colonisation, de l'immigration et leur curiosité n'aurait sans doute pas été la même si Messali n'avait pas marqué cette ville.

    JMS : A plusieurs reprises, et vous avez raison, vous avez utilisé l'expression « Messali a planté une graine à Niort » et personnellement j'ai été frappé par la présence d'un certain nombre de personnes algériennes ou d'origine algérienne, qui sont intervenues, alors que l'on croit souvent que le peuple algérien a été dépossédé de son histoire, avec une très grande connaissance particulièrement aigue de l'histoire du peuple algérien et de l'histoire pour l'indépendance, avec une volonté très nette de se réapproprier leur histoire. Est-ce que c'est une impression liée simplement à l'après-midi de cette conférence ou est-ce que c'est quelque chose que vous avez déjà perçu de manière plus ample et plus générale par d'autres exemples, d'autres conférences, d'autres publications, d'autres émissions etc. ?

    DM : Absolument ! Vous savez, les niortais d'origine algérienne que j'ai eu la chance et le bonheur de rencontrer ont, comme vous le dites, posé des questions très pertinentes et à partir déjà d'analyses faites. Ce sont des gens en recherche de repères. Cette histoire de l'Algérie contemporaine, de la colonisation, puis de la lutte contre le système colonial et puis de l'évolution du mouvement national, restent des sujets qu'ils connaissent oralement et qui ont été transmis oralement. Ils sont à la recherche de quelque chose qui tienne la route, qui leur donne des repères. D'autant plus que tant qu'ils n'auront pas compris d'où ils venaient ils ne seront pas en mesure de se donner des perspectives. Parce qu'avant d'aller chez les autres il faut déjà être soi-même. Etre soi-même c'est avoir son histoire et avoir son identité d'origine reconnue. Parce qu'une identité c'est quelque chose d'important. Faut-il en avoir une pour en embrasser d'autres à la suite. Moi je vous dirai, excusez-moi de parler de moi, que j'en ai aujourd'hui plusieurs et qu'elles m'enrichissent tous les jours.

    JMS : Cette conférence a vu également les messages très appréciés de nos amis Benjamin Stora et Louisa Hanoun. L'un étant l'historien que l'on connait, l'autre la responsable politique. Chaque message s'est inscrit, d'une certaine manière, dans cette volonté à la fois historique et politique de comprendre le mieux possible, le plus finement possible l'histoire de l'Algérie, et votre intervention immédiate me fait penser à une discussion qui a eu lieu dans la conférence sur la relation entre nationalisme algérien et internationalisme parce qu'il ne peut pas y avoir de nationalisme algérien ou d'un peuple opprimé, qui a raison de se battre pour s'approprier son histoire, son territoire, sa culture, son sol, son sous-sol, ses productions, sa langue – ici, ses langues - tous ce que l'on veut, mais il ne peut pas y avoir de lutte des peuples opprimés sans relation avec les autres peuples. Il y a des peuples opprimés mais il n'y a pas de peuples oppresseurs. Il y a des Etats oppresseurs.
    Cela fait partie également du message de Messali qui était le combat acharné contre le colonialisme français et l'amour, la considération, le respect, l'estime pour la France et pour la culture française. Pouvez-vous nous en dire plus Djanina ?

    DM : Je pense que Messali a eu le tort d’être en avance sur son temps. C’est très difficile quand vous avez à faire à un sous prolétariat de l’immigration d’expliquer qu’il faille élever les ambitions qu’ils avaient au niveau international. C’est difficile parce qu’il n’existe pas à l’époque, dans les années 30, pour ces gens-là. C’est un sous prolétariat. C’est toute une éducation politique. Ça, ça été un des génies de Messali, c’est de faire cette éducation politique de ces premiers immigrés - ce ne sont pas tout à fait les premiers – et qui vont créer le mouvement national algérien. 
    Messali va les pousser vers le syndicat. Ils vont apprendre à s’organiser. Ils vont apprendre ce qu’est la lutte de classe. Eux ils n’appartiennent à aucune classe. Ce sont ces gens-là, et leurs enfants – qui naitront en France – qui iront à Alger le 2 août 1936 poser la première pierre du Parti du Peuple Algérien. 
    C’est cela qui va réveiller la conscience nationale. La conscience nationale c’est faire comprendre à ce peuple qui était écrasé, soumis, pas respecté, qu’il était dans son pays et qu’il avait le droit de vivre libre. Ça, ça ne s’apprend pas à l’école. 
    Imaginez le travail, l’effort continuel, apprendre à ces gens à trouver une démarche, un projet politique : une assemblée constituante élue au suffrage universel ! C’est d’une modernité ! 
    Ça sort en 1927 dans le programme de l’Etoile Nord-africaine. Vous le retrouvez dans le PPA, vous le retrouvez dans le MTLD, vous le retrouvez dans le MNA. Plus de trace dans le FLN ! La déclaration du 1er novembre ne fait pas état d’une assemblée constituante souveraine élue au suffrage universel sans distinction aucune. C’est fini ! C’est parti dans les sables mouvants. On en reparlera plus et aujourd’hui on n’en parle plus non plus puisque l’histoire n’est pas écrite. Cette histoire-là n’est pas écrite ! 
    J’ai entendu parler d’un livre qui vient de sortir « 1er novembre 54, la faillite de la démocratie en Algérie ». Voilà quelques intellectuels qui se réunissent pour écrire dans un livre : le 1er novembre, faillite de l’avenir démocratique de l’Algérie. Alors interrogeons-nous !

    JMS : Justement, pour revenir au 1er novembre 1954 et pour revenir à Niort, Messali a été exilé à Niort, à l’hôtel Terminus de mai 1952 à septembre 1954. C’est une période charnière pour la révolution algérienne. Vous qui avez vécu aux premières loges ce moment difficile, ce moment de troubles, d’incertitudes, d’hésitations et de conflits, il faut le dire, pouvez-vous nous éclairer sur ce moment très spécifique du cheminement de la révolution algérienne ?
    DM : C’est un moment crucial comme vous venez de le dire, mais jusqu’ici les historiens ne se sont pas arrêté longuement sur ce sujet-là. C’est un sujet très important, c’est une articulation entre le MTLD, le 1er novembre, le MNA et le FLN. 
    Il faut toujours commencer par le questionnement mais ne pas se tromper dans le questionnement non plus. 
    Moi je rejoins mon père à Niort et je partage son exil à la mort de ma mère (2 octobre 1953). J’arrive à Niort dans une ambiance terrible : la maladie de ma mère, puis sa mort, la confrontation de mon père avec le comité central de son parti. Là c’est une partie de bras de fer. On est sur des positions politiques tout à fait opposées les unes aux autres. Messali en a assez d’entendre parler, depuis 1945, de l’union avec les modérés. Ça suffit ! On a tergiversé pendant des années, ça a été la seule activité du MTLD : essayer de faire alliance avec les réformistes d’une part, et d’autre part d’avoir pour ambition de devenir des conseillers municipaux de Monsieur Jacques Chevalier, Maire d’Alger. C’était ça la grande ambition de nos grands intellectuels que l’on appellera par la suite « les centralistes ».

    On est donc dans une partie de bras de fer. Messali cette fois-ci ne laissera pas aller plus loin la dérive du MTLD par les positions du comité central.

    JMS : Vous avez insisté, et je partage ce point de vue et je vous en remercie, sur le fait qu’il n’y a pas de conscience sans organisation et d’ailleurs quand on regarde l’histoire des militants nationalistes algériens, ceux qui étaient dans les usines comme vous le disiez, il est formidable de voir comment ces gens-là prenaient sur leurs quelques maigres heures de repos dans des conditions de travail terribles, pour se réunir, s’éduquer, se syndiquer, etc. 
    On voit bien qu’il ne peut pas y avoir d’émancipation nationale sans émancipation démocratique, et il ne peut pas y avoir d’émancipation nationale et d’émancipation démocratique sans émancipation, ou construction politique et tout ceci avec une organisation, ses différentes facettes faisant un même ensemble. 
    Je pense, et c’est la grande force, la grande réussite de cette conférence animée par la Libre Pensée, d’avoir contribué à mettre au centre, sous le feu des projecteurs, l’ensemble du programme politique de Messali qui d’un certain point de vue est l’avenir de l’Algérie.

    DM : Sans aucun doute. Et l’Algérie a pris beaucoup de retard parce que les problèmes de la liberté n’ont jamais été posé, les institutions, la réunification du Maghreb arabe, de l’ouverture vis-à-vis de la France et du peuple français. Il y avait des liens autrefois entre la classe ouvrière française et les militants nationalistes algériens. C’est terminé. On n’en a jamais plus entendu parler. 
    Je pense que l’on a perdu beaucoup de temps et que le programme du mouvement national n’a pas été atteint aujourd’hui.

    JMS : D’un certain point de vue ce que vous venez de dire est formidable. Cela veut dire que pour les jeunes générations c’est la construction de leur propre avenir, de l’avenir de l’Algérie, du peuple algérien, qui est impossible sans la réappropriation de son passé. Et pour toutes ses choses, Djanina nous tenions à vous remercier.

    DM : Merci à vous. Merci à la Libre Pensée et à bientôt pour d’autres débats intéressants.

     

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